Université de rentrée de l’Institut Saint-Serge, 16-17 sept. 2021 : « La religion est-elle une menace pour le vivre-ensemble ? »

Les 16 et 17 septembre 2021 l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge (Paris) a inauguré sa nouvelle année académique par son Université de rentrée sur le thème « La religion est-elle une menace pour le vivre-ensemble ? », avec 11 intervenants, une quarantaine d’auditeurs venus sur la Colline Saint-Serge et de nombreux auditeurs suivant en distantiel les communications et échanges. Introduit par le chancelier Mgr Jean et le doyen Prof. Michel Stavrou, la rencontre était organisée en 4 sessions sur 3 demi-journées.

 

Durant la 1re session, Vivre-ensemble et laïcité, Philippe Gaudin (Directeur de l’Institut d’Étude des Religions et de la Laïcité), dans son exposé : « Un vivre-ensemble difficile en France : l’ambivalence des religions et de la laïcité », a rappelé la capacité humaine à instrumentaliser le religieux pour légitimer la violence mais aussi pour la dépasser. Puis, Xavier Guézou (Délégué général de l’Institut des Hautes Études du Monde Religieux), dans son intervention : « Contexte, réception, adaptation et application du projet de loi sur le respect des principes de la République », a brossé une véritable géographie politique de l’extrémisme islamiste dans le monde, tout en montrant la diversité des musulmans en France, majoritairement opposés au djihadisme.

Durant la 2e session, Vivre ensemble : quelle place pour les religions ?, Bertrand Vergely (maître de conf. en théologie morale, ITO), dans sa communication : « Dieu et César », a déconstruit plusieurs théories de la violence et du rapport entre religion et État, soulignant le pouvoir politique libérateur de l’Évangile mais dans une vision proche de René Girard et non de la « théologie de la libération ». Le p. Jean-Louis Souletie (Doyen du Theologicum, Institut Catholique de Paris), dans « Le pluralisme religieux, une chance pour le vivre-ensemble ? » a répertorié les dénominateurs communs qui existent entre les confessions et les autres structures de la société civile permettant le « vivre-ensemble » ainsi que des pistes pour mettre celui-ci en pratique et franchir les obstacles. Constatant que le renvoi des religions vers la sphère privée empêche celles-ci de prendre leurs responsabilités dans la société, il a suggéré une déprivatisation des religions. Enfin, Emmanuel Tawil (Université Paris 2 Panthéon-Assas), dans « Le droit des cultes : un instrument pour favoriser la contribution des religions dans la constitution du vivre-ensemble ? », a analysé les origines et la nature de la législation portant sur la pratique religieuse en France (lois de 1905 et 1907), les difficultés techniques de mise en œuvre (par exemple le problème du choix entre statut régi par la loi de 1901 sur les associations ou par la loi de 1905 sur les associations cultuelles) et les contradictions des récentes initiatives législatives.

Au cours de la 3e session, Réflexions au retour d’expériences pastorales, Corinne Lanoir (prof. d’Ancien Testament, Institut Protestant de Théologie, Paris), dans sa communication : « Une expérience de formation pour vivre ensemble et se reconnaître dans la diversité des religions : “Emouna, l’amphi des religions” », a partagé ses expériences et celles des autres acteurs du programme Emouna – forum de rencontre, d’écoute, de dialogue et de recherche sur le vivre-ensemble entre leaders religieux et acteurs de la société civile. Le p. André Lossky (prof. de théologie liturgique, ITO Saint-Serge), dans « La fête de Noël : entre folklore et liturgie, quelle responsabilité pour nos Églises et quel enjeu pour le vivre-ensemble ? », a illustré, par l’exemple des rites de Noël dans la société française, l’évacuation progressive de tout sens des fêtes chrétiennes dans une culture sécularisée. Comment donc bâtir un « savoir-vivre-ensemble » alors qu’un fossé risque de se creuser entre croyants et « laïcs » ? L’intervenant a alors élaboré quelques propositions : une réciprocité à établir comme par exemple un meilleur effort (par le système éducatif, entre autres) pour la société civile se définissant comme strictement laïque à rétablir une meilleure connaissance au sein de la population du sens de la fête et un effort de la part des croyants à ne pas céder à la tentation du repli identitaire et d’éviter de faire un “cheval de bataille” lorsque les pouvoirs publics évacuent des symboles (crèches par exemple) de l’espace public. Le p. Jean Gueit (Université d’Aix-en-Provence / pasteur orthodoxe à Marseille), dans son exposé intitulé « Facteurs constitutifs du vivre-ensemble, approche sociologique et pastorale », a développé une riche rétrospective historique démontrant les sources chrétiennes du « vivre-ensemble » menant à l’apport des Lumières et au « consociationalisme » (Arend Lijphart) des années 1960, avant que le vivre-ensemble des chrétiens dans le monde ne se heurte à une évolution rapide, voire à un bouleversement des normes sociales, remettant en cause le consensus.

Durant la 4e session, intitulée Ouvertures, l’historienne, Valentine Zuber (prof. à l’E.P.H.E., Paris), lors de son intervention : « Vers une nouvelle laïcité ? La République laïque à l’épreuve du religieux », a rappelé que la laïcité en France n’avait jamais été exempte de débats intenses et souvent passionnels. De la reconnaissance d’un pluralisme légal limité sous la période concordataire à la séparation des Églises et de l’État en 1905, l’État laïque ne s’est jamais désintéressé du fait religieux. Dans le contexte anxiogène marqué ces dernières années par plusieurs vagues terroristes à motivation religieuse, le libéralisme initial du principe de laïcité est de nouveau interrogé. Conçu à l’origine comme un cadre permettant la coexistence pacifique des diverses religions, la laïcité française tend à s’imposer de nos jours comme valeur de la République, s’opposant de plus en plus aux valeurs proprement religieuses. Dans ce contexte, il est essentiel de continuer à exercer l’esprit critique et spirituel à la fois. Dans son exposé intitulé « Difficultés du vivre-ensemble des communautés religieuses en Belgique et voies vers une concertation », le p. Dominique Verbeke (prêtre à Gand, Belgique) a souligné le fait que l’Orthodoxie ne se pensait presque jamais comme une « religion », mais était davantage perçue comme vie de communion, d’abord avec la Sainte-Trinité, puis avec le reste des communautés (familles, quartiers, cités, régions, pays, etc.). Comme telle, elle possède forcément une dimension culturelle plurielle et diverse. Or, notre monde mondialisé tend à uniformiser cette diversité. La pratique mise en place à Gand de rencontres interconfessionnelles et interreligieuses cherche à ré-ouvrir l’espace pour la rencontre et la découverte de l’autre, qui constitue le fondement du vivre-ensemble – un vivre-ensemble qui en perspective chrétienne ne peut pas se penser en termes négatifs et oppresseurs. L’Université de rentrée a été clôturée par l’exposé du p. Jivko Panev (ITO Saint-Serge) présentant le rapport entre

l’Église orthodoxe, exprimée dans ses diverses juridictions, et les régimes des cultes en France, rappelant le rapport entre la théologie eucharistique d’un côté, et la mise en place des lois associatives de 1901 et 1905 de l’autre. En présentant les incompréhensions quant à la mise en place et l’organisation du vivre-ensemble suggéré par ces lois associatives, il a proposé quelques pistes de réflexions dont pourraient bénéficier en premier lieu les communautés ecclésiales.

L’enregistrement partiel de ces riches interventions sera bientôt disponible en ligne sur le site de l’Institut Saint-Serge. Les Actes de cette université de rentrée seront publiés prochainement.