Pâques : la Vie au tombeau

Chers étudiants, chers amis de l’Institut,

Cette année, après la pandémie de l’an dernier, nous célébrons la fête des fêtes et la solennité des solennités dans des conditions particulièrement douloureuses, marquées par la guerre russo-ukrainienne et son cortège de dizaines de milliers de victimes, désordre et tragédie d’un monde slave auquel notre Institut est profondément attaché. Il y a un siècle, en effet, c’est déjà de Russie et d’Ukraine que nos fondateurs, chassés de leurs foyers, ont dû fuir la révolution bolchevique pour venir trouver refuge en Occident. Cette terrible guerre fratricide s’intensifie et nous voyons ses effets s’étendre toujours plus au monde entier. Comment dans ce contexte de souffrance célébrer la fête de la résurrection du Christ et confesser sa victoire sur la mort ?

Peut-être en se rappelant tout d’abord qu’il n’y a pas de résurrection sans le mystère de la Croix et du Tombeau. Le Sauveur le disait lui-même à ses disciples : « Lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32).

La kénose du Dieu fait chair a déployé dans l’Histoire le mouvement éternel de l’amour trinitaire : du Père par le Fils dans le Saint-Esprit. C’est pourquoi le Christ a assumé toutes nos angoisses au jardin de Gethsémani et toutes nos souffrances sur la Croix jusqu’à sa descente aux enfers où par la mort Il a vaincu la mort. Mais, à travers ce mystère silencieux, grave et joyeux de la Résurrection du troisième jour, Celui qui est devenu personnalité corporative, tête d’un Corps ecclésial dont tous les hommes sont appelés à devenir membres dans l’Esprit, a voulu aussi demeurer mystérieusement présent à tous « jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20). Saint Maxime le Confesseur nous explique que la création du monde avait pour fin la mort-résurrection du Christ et il précise : « Dieu s’est fait mendiant à cause de sa sollicitude envers nous, […] souffrant mystiquement par sa tendresse jusqu’à la fin des temps, à la mesure de la souffrance de chacun. »

Cette présence invisible dans l’Esprit était déjà annoncée par la Cène du Jeudi saint où le Grand Prêtre s’est fait le Serviteur de tous, s’offrant en nourriture et nous ouvrant les voies de la résurrection. Commentant la parole : « Je ne boirai désormais plus de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père » (Mt 26,29), le père Dumitru Staniloaë écrit : « S’approchant du Père devant l’autel et offrant son sacrifice pour nous, le Christ ne boit pas le vin de la joie, car Il souffre jusqu’à présent de l’amertume de nos péchés […]. Le Christ ne sera dans la joie parfaite que lorsque tout son corps le sera. »

Ainsi pouvons-nous comprendre que le Christ ressuscité, loin d’être indifférent au mal qui continue de se déchaîner jusqu’au dernier jour, demeure présent du côté des « plus petits de ses frères », c’est-à-dire des humbles, des souffrants, des damnés de la Terre. Et dans la grâce de l’Esprit Saint, les épreuves peuvent être intériorisées autrement. Comme le souligne Olivier Clément : « Depuis Pâques, et c’est toujours Pâques, le sens, la vie nous viennent aussi par la mort et toutes les situations de mort de notre existence si, par une humble confiance, nous les identifions aux plaies vivifiantes du Christ. »

Depuis la résurrection du Fils de Dieu, l’amour éternel du Père pour son Fils est devenu aussi amour éternel pour tous les hommes. Chaque être humain, étant aimé de Dieu, est un signe de la présence même du Christ, souffrant et ressuscité. Le « sacrement du frère », mis en lumière par saint Jean Chrysostome et si fortement manifesté par sainte Marie de Paris, est donc le sacrement de l’amour du Christ présent en chaque être humain. Pour que notre théologie soit vivante, nous sommes appelés à en être les témoins.

Le Christ est ressuscité !

Michel Stavrou
Doyen de l’ITO Saint-Serge